Deux sauvetages de migrants marquent les esprits

Mi-décembre 2021, le canot tous temps « SNS 087 Jean Bart II », de la station SNSM de Dunkerque, a sauvé soixante-neuf migrants en vingt-quatre heures.

Sauvetage de migrants par la SNSM
De jour comme de nuit, les Sauveteurs en Mer interviennent par tous les temps pour porter secours aux personnes en difficulté en mer (photo d’archive) © SNSM Dunkerque

Le visage de la petite Hasti hante Pierre Bolo­mey. Dans son Smart­phone, le patron du Jean Bart II, de la station de Dunkerque, a conservé une photo de cette adorable petite fille de sept ans que l’équi­page du canot a sauvée d’un naufrage, le 16 novembre 2021. Une dizaine de jours plus tard, aux côtés de sa famille, cette Irakienne d’ori­gine kurde faisait partie des vingt-sept personnes qui se sont noyées lors du naufrage de leur embar­ca­tion dans la Manche. « Elle est gravée dans ma mémoire  », avoue Pierre, pilote du port de Dunkerque, engagé depuis une dizaine d’an­nées au sein de la SNSM.

Depuis ce jour funeste, le patron du SNS 087 a mené deux autres sauve­tages de migrants au large des côtes françaises, coup sur coup, les 17 et 18 décembre 2021. « J’ai eu la chance de sauver des gens. Je n’ai jamais eu à repê­cher des noyés », confie Pierre Bolo­mey. Dans les deux cas, les passa­gers de ces pneu­ma­tiques ont risqué leur vie.

Le premier sauve­tage s’est déroulé de jour, en fin de mati­née, à la suite d’un message d’alerte relayé par le centre régio­nal opéra­tion­nel de surveillance et de sauve­tage (CROSS) Gris-Nez. Parti des côtes belges, un bateau de fortune tombe en panne d’es­sence. « Le vent fraî­chis­sait. La mer se creu­sait. Il ne fallait pas traî­ner », se souvient le patron. Arrivé sur zone, l’équi­page remonte quarante-cinq personnes, dont deux femmes et deux enfants. Chaque équi­pier répar­tit les passa­gers à bâbord et tribord pour éviter tout risque de gîte. À peine la manœuvre ache­vée, l’un des passa­gers s’éva­nouit. Les sauve­teurs le placent en posi­tion laté­rale de sécu­rité, « au chaud dans la cabine de pilo­tage ». Le vent est de travers. Le canot tous temps gîte beau­coup. À la barre, le pilote sent le poids des personnes que le Jean Bart II vient d’em­barquer. La navi­ga­tion est déli­cate, pas agréable. D’au­tant qu’il faut exiger des passa­gers, « sans les braquer », que, malgré le froid, ils restent au vent pour faire contre-gîte et éviter tout acci­dent.

Bateau de La SNSM de Dunkerque
À bord de leur canot tous temps, les sauve­teurs dunkerquois ont sauvé sept cent trente-huit personnes en 2021. Les stations du Nord-Pas-de-Calais comp­ta­bi­lisent plus de deux mille cinq cent sauve­tages sur cette période © SNSM

Des sauve­tages sous tension

Au port de Dunkerque, le stress ne retombe pas. Alors que les pompiers évacuent le naufragé incons­cient, une bagarre éclate. « Les tensions entre les naufra­gés sont fréquentes », rapporte Pierre Bolo­mey. Car, une fois au port, les migrants prennent conscience de leur échec : ils ne sont pas parve­nus à atteindre l’An­gle­terre. Et, souvent, ils cherchent le coupable, par exemple celui qui n’a pas suffi­sam­ment mis d’es­sence dans le moteur de leur embar­ca­tion.

Au lende­main de ce naufrage, le SNS 087 appa­reille de nuit, en plein brouillard, vers 20 heures. « C’est un samedi, un jour de congé. Une chance, car nous étions nombreux à avoir répondu à l’ap­pel », précise Pierre. Onze équi­piers embarquent ; trois d’entre eux sont des nageurs de bord. Ils ne seront pas de trop pour sauver vingt-quatre personnes.

Une fois sur zone, le brouillard est si dense que l’équi­page SNSM peine à repé­rer le pneu­ma­tique, qui, d’après les infor­ma­tions trans­mises par le CROSS, est en train de couler. La lumière du Smart­phone que bran­dis­sait l’un des naufra­gés a guidé le patron. « Et là, stupeur, ils étaient tous à l’eau ! », raconte-t-il. Le moteur de l’em­bar­ca­tion avait arra­ché le tableau et déchiré le plan­cher du Zodiac.

Tout l’équi­page sait qu’il faut faire vite. L’eau froide de la Manche menace les orga­nismes et plusieurs des naufra­gés ne portent pas de gilet de sauve­tage. Le canot tous temps doit manœu­vrer plusieurs fois pour hisser à bord un premier groupe et s’éloi­gner de l’épave afin d’évi­ter de bles­ser ceux qui sont encore dans l’eau. À la vue de ce bateau qui dispa­raît dans le brouillard, l’ef­froi les saisit. « Je n’ai jamais entendu de tels cris de déses­poir. Ils étaient terri­fiés à l’idée qu’on les aban­donne  », pour­suit Pierre, le patron du canot. Il faudra fina­le­ment une demi-heure pour termi­ner l’opé­ra­tion de sauve­tage. Par miracle, en dépit d’un long séjour dans l’eau, aucun des migrants n’est blessé. De retour au port, l’équi­page de la SNSM a bataillé avec les auto­ri­tés locales afin que tous soient héber­gés pour une nuit dans un gymnase muni­ci­pal et que la Croix-Rouge surveille leur état de santé. Depuis, une autre crainte hante l’es­prit de Pierre, celle d’une nouvelle tenta­tive de traver­sée par ces vingt-quatre migrants, tout aussi dange­reuse que la précé­dente. 

Sauvetage de migrants dont ce bébé
Les sauve­teurs ont sauvé près de soixante-dix personnes en un week-end, dont ce bébé © SNSM Dunkerque

 


Équi­pages enga­gés

Canot tous temps SNS 087 JEAN BART II

Inter­ven­tion du 17 décembre

Patron : Pierre Bolo­mey

Équi­piers : Ayme­ric De Brou­cker, Laurent Desca­toire, Vincent Loonis, Chris­tophe Patou, Yannick Tison

Inter­ven­tion du 18 décembre

Patron : Pierre Bolo­mey

Patron suppléant : Olivier Ever­rard

Équi­piers : Ayme­ric De Brou­cker, Jean-Luc Debergues, Céline Delan­noy, Laurent Desca­toire, Philippe Jaouen, Jean-François Jeu, Vincent Marteel, Chris­tophe Patou, Gilles Val 


Article rédigé par Juliette Garnier-Sciard, diffusé dans le maga­zine Sauve­tage n°159 (1er trimestre 2022)